Qu’il était beau
Le grand bateau
Au nom joli :
« Démocratie »
1 – LibertéLa première ile qu’ils découvrent est décevante,
En effet alors qu’ils cherchent des démunis, les indigènes ont l’air heureux, ils les accueillent avec sympathie, sourient, rigolent et chantent.
C’est très désagréable quand on cherche à faire le bien !
Pourtant Marianne et François savent qu’il ne faut pas se fier aux apparences :
S’ils sont heureux c’est parce qu’ils ne savent pas qu’ils sont malheureuxAlors il faut commencer par évaluer la situation
Rapidement ils découvrent :
Que seul le village est parfaitement sécurisé, la forêt voisine est pleine de pièges, félins, serpents, araignées et autres bestioles sympathiques.
Que seuls les hommes jeunes et costauds vont à la chasse, à cause du danger.
Les hommes âgés sont reconvertis comme pécheurs le matin, puis rejoignent les femmes pour aider à s’occuper des enfants et de la cuisine.
Les jeunes trop petits, trop malingres, sont employés comme bâtisseurs, réparateurs, bref ouvriers en tous genres pour tous les travaux nécessaires au village, y compris des tâches ménagères
Et en dehors de quelques rares jeunes filles particulièrement costaudes qui accompagnent les chasseurs, la plupart des femmes restent au village pour s’occuper des enfants, pas uniquement les leurs d’ailleurs, pour tous elles servent de mères, de professeurs, de conseillères
Quant aux vieux, on leur demande seulement de raconter des histoires aux enfants, à la fois pour les distraire, les instruire, et surtout transmettre les traditions. Puis, pour ceux qui sont encore ingambes, de jouer un peu avec eux aux jeux propres au village.
« Société machiste » clame Marianne, et elle interroge les femmes
-
Vous n’avez pas envie d’aller à la chasse vous aussi ?
-
Ben non, pourquoi ? ça c’est fait pour les hommes, ou les jeunes filles solides qui cherchent un mari
-
Oui mais n’avez pas envie vous aussi d’avoir un métier, de bâtir, de pécher ?
-
Non on est bien là, notre rôle est le plus important : c’est nous qui formons les futurs hommes et femmes du village !
-
Et vous n’avez pas envie parfois d’avoir un vrai métier ?
-
Ben dis donc, si on fait autre chose, qui s’occupera des enfants ?
-
Ah, je l’attendais cette là ! parce vous trouvez normal que vous vous tapiez toutes les corvées pendant que ces messieurs se promènent en forêt avec quelques jolies nanas ? vous n’avez pas envie vous aussi de faire ce que vous voulez ? si votre vocation est de s’occuper des enfants, continuez, mais si c’est la chasse, la pêche, la construction, allez-y, c’est ça la liberté !
François, lui, interrogeait les pécheurs
-
Ça vous plait de ramener du poisson plutôt que les animaux dangereux que vous chassiez quand vous étiez jeunes ?
-
Pas de problème, c’est notre destinée, la loi du village
-
Mais qui a décidé cette loi ?
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On l’a toujours connue, de génération en génération, c’est comme ça et c’est bien ainsi
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Et vous ne regrettez pas la chasse ?
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Si, quelquefois, d’autant que je me sens encore fort, et même plus que quand j’avais 20 ans
-
Alors pourquoi ne pas y aller ? faire ce qu’on aime, c’est ça la liberté
Puis il interroge les bâtisseurs.
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Ça vous plait d’être des ouvriers ?
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Oui que voulez-vous qu’on fasse d’autre ?
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La chasse ça ne vous plait pas ?
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Mais on n’a pas le droit, on est trop faibles
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Qui décident ça ? si ça vous plait, il faut aller chasser, c’est ça la liberté
Marianne interroge les vieux
-
Ça vous plait de vous occuper des enfants ?
-
Oui, et c’est notre destin, et nous forgeons le leur
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Ils ne sont pas parfois pénibles ?
-
Oh si, parfois j’ai un peu envie de les laisser tomber et d’aller faire la sieste ou de ramasser des coquillages sur la plage.
-
Mais faites-le ! c’est ça la liberté
Puis tous deux interrogent les chasseurs
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C’est la belle vie d’être chasseur ?
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Oh oui, on est les rois du village
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Vous n’avez pas envie de faire autre chose ?
-
Si dit l’un d’eux, moi je suis trop jeune, j’aurais aimé profiter de la vie avant de bosser
-
Moi, dit un autre, je suis artiste, j’aimerais passer mes journées à dessiner
-
Moi dit un troisième, j’avais des tas d’idées pour des constructions originales, mais je suis trop costaud, pour moi c’est la chasse !
Avant de partir, le couple s’adresse à la population :
-
Pourquoi obéissez-vous à des lois ancestrales obsolètes, élitistes, machistes, qui vous privent de vos ambitions ? faites ce que vous voulez, et vive la liberté ! André Gide a dit « Ose devenir qui tu es, ne t’en tiens pas quitte à bon compte… »
Le bateau s’éloigne de l’ile, Marianne et François sont heureux et fiers, ils ont apporté à ces indigènes défavorisés une valeur qu’ils ne connaissaient pas : la liberté !
Dans l’ile, la jungle est impitoyable, on compte maintenant de nombreux morts : des femmes trop âgées mal préparées aux dangers, des hommes faibles, des vieillards nostalgiques qui voulaient retrouver leur jeunesse, tombés dans les nombreux pièges de la forêt inhospitalière.
Les jeunes chasseurs sont en nette diminution, ils préférant lézarder à la plage pour « profiter de leur jeunesse » dans le cadre de leur liberté retrouvée. Les ouvriers sont à l’arrêt, aucune raison d’être les larbins.
Les enfants sont livrés à eux même : les vieillards veulent se reposer, les pêcheurs ont assez de boulot avec la pêche, ils veulent aussi profiter des loisirs et les femmes ont pris conscience du sexisme et veulent un vrai métier.
Bientôt c’est le bordel le plus complet, des ados sans guides devenant des bêtes sauvages, plus aucune harmonie dans la société … jusqu’au jour où un indigène autoritaire imposera sa dictature et édictera ses propres règles, avec l’aide des coups de matraque de sa nouvelle milice.
François et Marianne, eux, voguent doucement vers de nouvelles missions, heureux du devoir accompli.
A suivre …